Roman
Idée sur la 4ème de couverture

48 000 mots

Je traite dans ce roman du fantasme du mâle de se prélasser serait-ce une fois dans sa vie entre deux femelles, son épouse légitime et sa maîtresse. Momo était un jeune homme sensible, intelligent, non-violent, très courageux, qui considère la femme son égale, mais gentleman jusqu’au meurtre lorsque sa passion est exacerbée par les lâchetés…

« Il meurt lentement
« Celui qui évite la passion
« Et son tourbillon plein d’émotions »

Pablo Neruda, prix Nobel de littérature en 1971

1

Je me réveillai la bouche pâteuse, l’état que je ne supportais pas de l’alcool. Ma montre marquait seize heures. La veille c’était Jour de l’an. Je ne le réalisai qu’en voyant des villageois porter des bûches. Nous ne manquions pas cette fête, généralement des modérés, des émigrés, des étudiants, des enseignants, et finîmes par faire beaucoup d’émules dans toutes les couches sociales. Nous achetions la bûche et mangions en famille une tranche du gâteau, puis direction un cabaret paisible. On nous reprochait de fêter une journée de mécréants, omettant bien sûr son côté chômé et payé.

J’adoptai cette fête parce qu’elle est simple, joyeuse et à la portée de toutes les bourses. En Occident on prépare le petit banquet et la soirée entre amis, les uns iront en discothèque, puis on chante, on rit, on danse en se soûlant. À minuit moins une minute on éteint les lumières. Les couples s’embrassaient et il est permis d’embrasser sa voisine de table. Quand on rallumait, on poussait des cris de joie et on se souhaitait bonne et heureuse année. Je le sus à travers les films occidentaux.

Un émigré de la région racontait à ce propos. Il se rendit en discothèque spécialement pour embrasser une jolie Française. Comme le lieu était bondé, il ne la quitta pas d’une semelle. À l’approche de l’extinction des feux, elle prit siège à une table, à côté d’un Africain noir. Il s’assit à côté d’elle. Au moment fatidique, il écrasa sa bouche ou sa paire de moustache sur celle d’un homme, l’Africain. La Française, ayant deviné le manège des deux hommes, se jeta en arrière à l’extinction des feux. Il ne s’était pas imaginé un seul instant que l’Africain visait la même chose que lui et que la Française les eût devinés.

Moi et quelques amis fûmes au cabaret. Faute d’argent nous nous contentâmes d’une fête modeste. Comme d’habitude on éteignit les lumières à minuit moins une minute, mais les serveuses et prostituées à la fois, plus occupées aux gros pigeons, désertèrent les lieux. Certes la centaine de mâles qui braquaient des yeux avides de sexe sur des femmes qui se comptaient sur les doigts d’une main, n’arrangeait guère les choses. On s’imagine la ruée et la querelle qui s’en suivrait. Du sang risque de couler ! Déjà on souffrait de rixes pendant les excès de buvettes. Aussi, suffit-il de payer ce baiser l’équivalent d’une journée de travail et dans un lieu insalubre avec des toilettes puantes et repoussantes.

Donc, après la toilette du visage à l’eau froide – je me lavais toujours avec cette eau et sans savon– et une tasse de café bien dosé, je me sentis revivre. Je pris le petit déjeuner et sortis.

Un ancien ami avec qui j’avais rompu m’attendait à la sortie de la cage d’escalier. J’habitais un immeuble dans un centre de région dans les montagnes. Croyant que l’ami me demanderait des livres, il m’informa que Djidji, diminutif de Djedjiga, une cousine à moi, se prostituait dans un bordel dans le Sud. Avant, nous étions, moi et l’autre, de bons camarades, mais plus depuis qu’il me rapporta un saut de Djidji qu’il étalait ailleurs avec joie :

— On l’a surprise dans un lieu isolé sur les genoux d’un homme.

Je n’osai pas lui parler de sa sœur, une mineure, ressemblant à Djidji. Je l’avais surprise, dans la fontaine du village, dans un coin isolé, avec un père de famille. Je lui conseillai de s’occuper d’abord de sa maison…

J’ignorais pourquoi il ne m’envoya pas une droite, n’étant pourtant pas un non-violent. Plus jamais il ne m’adressa la parole. Je fis de même. Je finis par regretter et demander des excuses par le biais d’un villageois. Il s’entêta. Je l’oubliai. Puis il me demanda de la lecture. Je lui en donnai. Il était si content. Il m’avoua qu’il pensait que je le refuserais. Je le rassurai et lui ajoutai de ne pas hésiter à m’en demander, la seule manière qui épargne les préjugés. La relation, quoique brisée, reprit son chemin.

En me rapportant la nouvelle sur Djidji, je ne saurais dire s’il se vengeait ou me faisait gage d’amitié. Je lui répondis que cela m’était égal, que c’était tout juste si je m’occupais de mes affaires, et le quittai.

Ce n’était que jalousie. On croyait que Djidji se donnerait aussi facilement tandis qu’on enfermait ses femelles à la maison. Elle excitait tout ce monde et ceux à qui elle n’adressait pas de salamalecs, qui étaient nombreux.

Djidji avait une chevelure noir corbeau, coiffée en crinière, de gros yeux noirs toujours fardés, un petit nez, des lèvres charnues et vermeilles dont la supérieure était retroussée et parcourue de deux sillons, le tout dans une taille haute et svelte et une peau fine et blanche. Âgée alors à peine de quinze ans, elle déambulait déjà ses belles formes dans les rues du village, dans des toilettes souvent sexy. Elle détestait la robe kabyle dont elle disait qu’elle occultait les belles formes et cachait les bourrelets. Elle avait horriblement raison.

Belle, elle l’était. Elle pourrait remporter le concours de Miss Kabylie si elle y participait. Elle n’avait rien à envier à Miss Monde, ni au mythe aux yeux bleus et aux cheveux jaunes.

Si au village ses flirts se comptaient sur les doigts d’une main, par prudence, ailleurs ils étaient une foule, tout comme ses admirateurs. Au lycée, certains de ses maîtres lui donnaient une bonne note pour des devoirs nuls, mais elle reconnaissait sa paresse pour les études qu’elle quitta malgré les supplices de ses professeurs. Pourtant, elle montra des qualités intellectuelles. On aurait dit qu’elle nous dépassait, l’école et sa génération.

Les événements la prirent de court. Sa famille, poussée par les oncles et les jaloux, menaçait de la tuer. Ayant pris peur, elle s’enfuit pour ne plus apparaître. Elle avait vingt ans.

Elle aurait pu venir me voir. Je l’aurais aidée de mon mieux. Comment aurait-elle pu ? Nous ne nous parlions plus. Comme je ne supportais pas ses sauts au village, je ne lui adressais plus la parole afin de la pousser à se retenir. Je dus oublier que c’était une adolescente qui en plus devrait me désirer. Elle me taquinait en faisant la cour à ses bourreaux, l’un d’eux avec un nez camus horrible à voir.

Je rompis avec elle. Elle tenta de me revenir plus tard. Je lui opposai un silence sans appel. Dans ces cas on me surnommait L’impitoyable. Je ne rompais pas facilement, mais quand cela arrivait, souvent j’effaçais de ma mémoire le coupable. C’était ma façon de répliquer à une bourde impardonnable ; la violence n’était pas mon fort, je la répugnais même.

Je n’avais pas agi de la sorte avec Djidji. Je l’estimais quelle que soit sa conduite si bien que je ressentis de la culpabilité à son égard. Elle adorait ma compagnie, moi autant qu’elle. Cela donna des idées à ma mère et certes aux autres. Sans Foufou, une femme que j’aimais et aime encore, je l’aurais épousée.

Djidji avait besoin d’aide. Ce n’était pas son genre la prostitution. Comme je quitterai le bourg pour un bout de temps, j’aurai besoin d’un téléphone mobile pour que nous nous joignions moi et Djidji et que ma mère me contacte au besoin. Avant, au lycée, j’en avais un. Je l’utilisais à mauvais escient, plutôt à harceler Foufou. Plus tard il restait la plupart du temps immobile et me prenait mon argent de poche pour rien. On me harcelait aussi. J’aurais pu ester en justice le coupable, mais ce serait une connaissance. Cette technologie nous trouva assis sur notre merde. Alors je décidai de ne plus avoir de mobile.

Cette fois j’en aurais besoin. Je m’achetai dans la boutique du coin un mobile d’occasion et une puce téléphonique chez l’opérateur occidental. Malgré son coût un peu élevé, il était le seul qui tînt ses engagements quitte à perdre de l’argent, et travaillait sérieusement, contraire de l’opérateur national et de l’autre Arabe d’Orient qui n’appliquaient qu’à moitié leurs engagements et n’hésitaient pas à arnaquer leurs abonnés.

Je voulus rester un moment dehors pour respirer l’oxygène frais de la tombée de la nuit. Les enfants grouillaient partout et jouaient à toutes sortes de jeux bruyants faisant un horrible vacarme.

Je ne me trouvais bien que chez moi, sur le petit balcon de ma chambre, donnant sur un bois. Les immeubles de la cité, plutôt les clapiers bouchaient le paysage. Les architectes étaient sûrement bêtes puisqu’ils avaient conçu les lieux pour des bêtes : pas un espace vert, pas d’air de jeu pour les enfants, pas même un espace de terre, que du béton partout.

Je rentrai en me frayant passage dans l’escalier. J’habitais au troisième étage. Je gravissais les marches, distrait par Djidji. J’entrai chez moi en douceur. Je trouvai ma mère dans la cuisine, occupée avec le dîner. Elle me tournait le dos et ne semblait pas me voir. Je profitai de l’occasion pour éviter les salamalecs qui ramèneraient une discussion qui me distrairait de Djidji.

Je m’asseyais à la table à manger portant un seul ouvert. Ma mère dut dîner ou ne pas avoir d’appétit. C’était pour moi le seul couvert et elle ne mangeait pas sans moi. Elle arriva avec un seul plat.

Elle portait une robe de fête. Elle paraissait ravissante. Djidji tenait d’elle, mis à part les cheveux châtains et un peu grisonnant de ma mère. Ses charmes me donnaient souvent des doutes sur sa chasteté. Ni les souffrances ni l’âge ne réussirent à les ternir ; on la préférerait à bien de belles femmes. Elle travaillait dans une usine comme femme de ménage avant que le directeur qui se prenait pour le patron ne l’affectât à son secrétariat. Elle se débrouillait bien en français et montrait des qualités pour diriger. Cela confortait mes soupçons. Même son âge, la cinquantaine, ne m’en dissuadait pas.

En y pensant, j’ignorais comment réagir si un jour elle passait à l’acte à mon su, ce que je prenais volontiers pour de la haute trahison. Pourquoi ne pas me préparer du moment que je ne pensais pas réagir sagement ? Penser de vilaines choses sur sa mère ! Peut-être pas si vilains que ça. La lecture m’avait appris que seule la femme amoureuse ou satisfaite peut garder ses charmes au-delà de la ménopause, à moins d’une exception.

Comment avait-elle supporté tout ce temps mon père, son cousin germain, qu’elle avait épousé de force ? Il était laid et myope. Nous avions les mêmes petits yeux rapprochés, cernés par de gros cils, un goût porté sur les choses de l’esprit et un corps gringalet, de quoi éloigner toute belle femme. Mais beaucoup me disaient que mes traits paraissaient virils. Je n’avais pas encore de preuves et ce n’était qu’apparence ou paradoxe de la nature humaine, car je me sentais une pulsion homosexuelle, plutôt une pulsion de sodomite que je considère comme telle et qui est une inclination homosexuelle.

Ma mère me tira de mes réflexions en déposant devant moi une assiette de riz bien saucé et une tranche de poulet rôti, comme j’aimais.

— Bonsoir ou bonjour, Momoh, dit-elle.

— Bonsoir, maman, répondis-je.

— Des soucis ? Tout à l’heure tu es passé comme une trombe, sans répondre à mon salut.

— Je ne t’ai pas entendu. Je m’excuse. J’étais distrait. Je pensais justement te dire que je vais demain à la capitale pour y travailler comme agent de bureau. D’après la connaissance, je commencerais dès mon arrivée.

Je ne prétextais rien. Je comptais refuser ce poste. Djidji me qui me dissuada.

— Toi qui ne supportais pas le travail de bureau ! Tu disais que c’est un travail de parasite. L’autre fois, tu as refusé mon offre, une place stable dans la seule usine de la région. Tu es sûr de ne pas me cacher quelque chose ? Aller par exemple au Sud ?

Elle lisait dans mes pensées. Si la rumeur courait vite, il n’y a que l’intuition maternelle qui puisse lire les pensées de ses enfants. Je devais la pousser à aller au fond de sa pensée ; elle dut savoir pour Djidji. La nouvelle était filtrée par un villageois, un proche, qui travaillait au Sud. Dans quelque temps la rumeur, puisqu’elle n’était pas encore fondée, ferait le tour de la Kabylie.

— Pourquoi le Sud ? improvisai-je.

— Il court que ta cousine y travaille dans une maison de très mauvaise réputation. Je crains que tu veuilles jouer au héros ou au saint qui finira à ses genoux. Je connais cette petite peste.

Parfois nous nous disions certaines choses. Il faut bien être moderne.

— C’est ta nièce aussi. Rien n’est prouvé contre elle et la malheureuse a été de tous les feux. Depuis quand es-tu informée de cela ? Moi, je le suis de toi.

Si je lui disais la vérité, elle serait confortée dans ses soupçons. Elle ne me répondit pas, mais son regard en disait long.

— Si tu as besoin d’argent, je vais en prêter. Je manque en ce moment à la maison.

— J’en ai de quoi tenir une semaine, ensuite je demanderai des acomptes. Voici le numéro de mon nouveau mobile. Je t’appellerai dès mon arrivée et te donnerai de mes nouvelles.

— Tu disais que le mobile a plus d’inconvénients que d’avantages.

— Je maintiens mon jugement, mais disons qu’en ce moment il peut nous être utile.

— Tu viens à la fête de la voisine ? Je t’en ai parlé, mais je vois que tu as oublié. La jeune femme, qui ne cessait de te louer, viendra.

— Je m’en passerai du mariage. Il faudrait en plus que tu nourrisses une autre bouche. Je ne veux pas d’une femme qui vivra sur ton dos ni le mien.

— Rassure-toi de ce côté, elle travaille.

— Je me sentirais un pou moi-même. Ça sera un échec et cela tu n’en voudras pas.

— Soit. Mange alors, je me rendrai ensuite à la fête.

— Je n’ai pas faim pour l’instant. Plus tard, peut-être. C’est toi qui dois manger.

— Moi non plus je n’ai pas faim ; la vapeur m’a coupé l’appétit. Je dois surtout laisser un petit creux pour la fête sinon on me prendra pour une méfiante.

Ma mère partit, avec un gros poids sur le cœur. Que pourrais-je faire d’autre ? Je déteste les fêtes : on y distribuait une horrible musique et dansait de la même manière tout en se lorgnant des yeux. Et gare aux flirts !

Je rangeai la table et rentrai le coucher. J’étais las. Tout de suite Djidji occupa mon esprit. Je connaissais la ville et le bordel où elle était supposée crécher. J’y avais même pratiqué une passe. Djidji dut choisir le lieu par dépit. Elle n’était pas le genre à chercher du travail, une aiguille dans une botte de foin. Elle avait besoin de moi. Le poste d’agent de bureau tombait à pic. On dirait que je l’aimasse encore et projetasse de l’épouser. Ce serait le scandale de la région et du siècle.

Je ruminai la chose jusqu’au petit matin, le moment où le sommeil me gagna, à l’arrivée de ma mère. Ce n’était pas de ses habitudes. Elle m’appela à voix basse de derrière la porte. Je feignis dormir pour ne pas patienter deux heures pour l’arrivée du cycle prochain. Souvent un bruit, une voix ou un rayon de lumière me le faisaient perdre. Je dormais les yeux bandés, les oreilles bouchées au coton, faute de stop bruit, et la chambre fermée de toute part. Cette fois le son faible de la voix de ma mère et les petits bruits attentionnés qu’elle faisait, avant de partir directement pour son travail, hâtèrent le sommeil.