Roman
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Après l’épuisement des hydrocarbures et la commercialisation d’une nouvelle énergie écologique, renouvelable, moins chère et moins polluante, l’hydrogène, ainsi que d’autres énergies, le monde dit arabe s’effondra et retourna au bas Moyen-âge, l’époque de la naissance de l’islam. Partout en Algérie naquirent des gouvernances locales, presque toutes inféodées à l’embryon de l’ancien régime qui végétait sur leur dos.
La Kabylie, connue pour son organisation séculaire et sa légendaire fronde, échappa à cette emprise et réussit à devenir une région libre et des plus modernes à travers Anza, le village qui devint Atlantide ou la Cité du futur, dont le fondateur était un de ses fils, Mazzy, de la diaspora de France, un magnat de l’IA (Intelligence Artificielle). Hélas ! à mi-chemin de l’autarcie et de la modernité, Mazzy perdit l’usage de ses deux reins et peina à se trouver une greffe malgré son statut.
Idir, déiste agnostique féru de Marx sans être marxiste, Aksel, alias Grégoire, évangéliste réformiste, et Smaïl, le musulman coraniste[1] et rigoriste ; donc, ce trio se proposa de trouver un rein quitte à se tirer à la courte paille. Seulement, leurs réunions se tournaient souvent à la violente verbale contre leurs sensibilités. Mais c’était Marx, Jésus et Mahomet qui en prirent à satiété, au détriment de leurs fidèles qui, certes, s’entre-tuaient dehors.
[1] Ne reconnaît aucun texte de la Sunna dénigrant son prophète
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Atlantide est une cité qui n’avait pas son égale dans toute l’Afrique. Elle se dressait au cœur de la Kabylie, ce cœur qui bat avec ses ancêtres les mythiques Berbères, que ni les religions ni même, hélas ! la modernité (à ne pas confondre avec modernisme) ne réussirent à dompter. Elle brillait de partout et à toute heure, si bien qu’on ne séparait plus le jour de la nuit et en devenait facilement noctambule. Avec ses gratte-ciels et ses immeubles qui montaient toujours plus haut, on la surnommait la Petite Manhattan, en comparaison avec la cité new-yorkaise, la grande.
Elle poussait dans les montagnes sur un terrain aux reliefs d’un cratère, contraire des villes du pays bâties sur des terres agricoles et plates, une denrée rare en Afrique du Nord, que le désert commençait à engloutir faute de contrer ce cataclysme naturel, certes lent mais inexorable.
Un cours d’eau coupait la cité en deux, que reliaient des ponts çà et là. L’eau paraissait stagnante, bien qu’elle coule en douceur. C’était un ancien oued en grande partie asséché même en hiver, que la science avait ravivé. Et de fleuve artificiel il devint un fleuve naturel ou presque, grâce à la volonté et à la compétence d’hommes de défis. Des péniches et des bateaux-mouches le sillonnaient de jour comme de nuit, faisant du tourisme ou du commerce. On y pêchait aussi.
Si dans le reste du pays les plus hauts immeubles, rares d’ailleurs, ne dépassaient pas trente étages souvent avec un ascenseur en panne, ce n’était pas que le sol ne supporte pas leurs poids ou que la gravitation et le climat ne permettent pas de la hauteur, mais parce qu’on avait empoché les autres étages…
L’aspect debout d’Atlantide donnait à la cité de la majesté, ou de la virilité selon ses habitants et les Kabyles en général. Ce qui frappait l’œil après cet aspect étaient les couleurs et les images. Sur les murs, sur les vitrines, dans les panneaux publicitaires, sur les bus et le métro, sur le vitrage des tours, presque partout les couleurs brillaient de toutes leurs sensibilités.
Si les immeubles et les tours occupaient le centre-ville, les habitations modestes et les villas choisissaient la périphérie. Leur architecture était un mélange de style moderne et de style berbère, qui, en plus des commodités intérieures et des couleurs sombres, offraient un régal aux yeux.
La première des choses avec laquelle on ne badinait pas était l’hygiène publique. Les rues brillaient de propreté, du moins rarement on voyait sur le sol une ordure ménagère, souvent un petit emballage. Devant chaque immeuble et chaque pâté de maisons, on plaçait une benne à ordures. Les corbeilles à papier étaient accrochées partout à hauteur d’un enfant et à une centaine de mètres d’intervalle.
Le réseau des transports faisait le bonheur des usagers. Atlantide avait son métro, cinq lignes desservant le centre urbain et les banlieues. Aux heures de pointe, les rames circulaient chaque trois à cinq minutes d’intervalle. Les bus aussi circulaient avec le même rythme. On venait d’y introduire les bus à étage ou à terrasse, ce qui ajoutait de l’embellissement à la cité.
Atlantide se divisait en trois zones portant chacun le nom d’un pôle. La zone Est ou oriental abritait les lieux de culte, le quartier musulman, la délinquance et surtout un bidonville que les autorités rasaient, mais qui renaissait à chaque nouvelle vague de migrants.
La zone Sud abritait un grand bordel à ciel ouvert et un grand marché aux puces, deux créneaux qui attiraient du monde. Si au marché on vendait de tout et à des prix imbattables, à côté, la cuisse de fort jolies femmes ne coûtait vraiment pas cher.
La zone Nord se divisait en la partie Nord et la partie Ouest. Dans la partie Nord se trouvaient l’industrie automobile, les firmes de l’électro-ménager et de l’électronique, toutes sortes de production, des commerces. Il y avait aussi les écoles, les universités et les bibliothèques. Quiconque pouvait s’inscrire dans ces écoles : il suffisait de présenter le diplôme requis, de réussir un test d’aptitude, de s’acquitter des frais de scolarité, une modique somme, de se doter d’une couverture sociale, le tout équivalant à un mois de salaire minimal pour une année scolaire. Pour les étudiants étrangers, ils devaient assurer leur hébergement. On venait du pays, des pays voisins et de l’Afrique entière.
Dans la partie Ouest proliféraient les discothèques, les boîtes de strip-tease, les clubs privés, les cinémas, les salles de théâtre et de danse, les conservatoires de musique, les musées, les écrans géants à la belle étoile pour les occasions des films culte et de la Coupe du monde de football. Les lieux ne se désemplissaient pas, la journée des touristes, la nuit des noceurs.
Les hôtels poussaient partout, selon leur statut. Les somptueux préféraient le centre-ville et les lieux chics. Chacun possédait ses parkings, ses discothèques, ses bars, ses restaurants. Le dimanche, le week-end local, beaucoup de ces établissements organisaient des soirées dansantes avec les vedettes de la chanson kabyle moderne, classique ou folklorique. On organisait des virées touristiques aux musées des antiquités et aux musées des nouveautés, au métro, au cours d’eau notamment sa partie appelée Champ des Artistes, un joyau des habitants.
Les espaces verts et les jardins fleurissaient entre les pâtés d’immeubles, un peu partout, malgré une fréquentation réduite, sauf le week-end et les jours fériés. Les placettes étaient en tuf ou en gazon naturel. Les arbres s’alignaient tout autour, les plantes le long des allées. Les feuilles ou les feuillages étaient taillés en formes géométriques. On y cultivait des fleurs.
Les usagers se limitaient aux personnes âgées, quelques adultes et des bonnes accompagnant des enfants sous leur garde. Mais, le week-end, comme les jeunes filles venaient s’y détendre, les garçons les suivaient et les courtisaient. Ils en firent un lieu d’amour, au bonheur de tous.
Chose inhabituelle en Afrique, à Atlantide on voyait très rarement des enfants seuls dehors et des mendiants en guenilles. La loi est sévère. Les mineurs devaient être à l’école, à la maison ou dans les centres de loisirs et de culture. Un enfant abandonné est pris en charge par l’assistance sociale pour mineurs. Lors des vacances, on les envoyait en voyage organisé chez des familles kabyles vivant dans les montagnes et parfois en Europe. Quant aux mendiants, des organismes de charité et des centres d’accueil les prenaient en charge indéfiniment. Les seuls cas que l’on rencontrât étaient des malades souffrant de claustrophobie. On ne donnait pas de l’argent à la main tendue, du moins rarement.
La fierté de la cité était le Champ des Artistes, un lieu unique en Afrique. Toute la longueur du cours d’eau, ces trottoirs spacieux qui bordaient ce côté-ci, était sécurisée par une rampe en béton de la hauteur d’un mètre, sur laquelle les flâneurs s’asseyaient pour contempler le paysage et le cours d’eau. À quatre ou cinq mètres plus bas, s’étalaient des espaces verts d’accès à pied, sillonnés d’allées au pavé, à un mètre du niveau d’eau.
Chaque espace limité par une allée ou des arbres donnait sur un paysage différent de la ville, qui sur les tours, qui sur les villas d’une architecture hétéroclite, qui sur les montagnes. Le ciel était d’un bleu pur même en hiver. La nuit, en été, on se régalait d’un ciel très lumineux : jamais on ne crut distinguer autant d’étoiles. C’était féerique.
De jour comme de nuit, durant toute l’année, les habitants, les touristes, les artistes notamment ne manquaient jamais l’occasion d’y venir s’en ressourcer. Les peintres dessinaient en public et à ciel ouvert… Jamais un pays sous-développé ou en voie de développement ne rendit à ses hommes de culture un aussi bel hommage.
Mais la grande fierté des habitants était la création du ministère de la Paix. Ce ministère jouait les premiers rôles en cas d’un conflit et devait faire revenir la paix même au prix de quelques sacrifices.
Tard la nuit, les gens paisibles abandonnaient les lieux, les promenades, les flâneries aux devantures, les buvettes, les discussions futiles, et rentraient. On ne rencontrait plus que les derniers passants hâtant le pas, les éboueurs en pleine tâche et les ivrognes se traînant sur les trottoirs ou se tapissant derrière les poubelles.