Le cinéma forge ou renforce le sens de la justice
Mon premier film, je l’ai vu à la salle Djurdjura, en ville, à 35 km de chez moi dans les montagnes. J’avais moins de dix ans. J’étais avec un cousin et voisin, un adulte, à qui ma mère faisait une confiance aveugle. Cette histoire me donne encore la chair de poule ; j’aurais pu finir comme le pauvre enfant d’Akerrou, un village voisin, que son voisin avait violé puis tué pour échapper à la justice. Fort bien on l’avait vu avec lui et il a été arrêté et condamné à vingt-cinq ou trente ans de prison ferme, mais, hélas ! libéré après dix ou quinze ans suite à une grâce présidentielle. Ce voisin était un homosexuel passif, la femme des jeunes du quartier, la plupart des cousins, après que l’un d’eux l’avait violé. Ce que j’ai su à ma majorité. Il voulait reproduire sur moi ce dont il était victime. Il m’a fait des attouchements superficels… Je n’ai aucun souvenir sur le titre du film et des acteurs, autrement je l’aurais mis en lien. Je me rappelle juste que le chauffeur avait tué une femme avec un tournevis… Probablement, un film policier de teur en série… J’ai parlé de ce sujet en détail dans Journal d’un petit Berbère, mon autobiographie de quelques 700 pages arrêtée en 2014 suite à mon départ pour la France, ce que je compte vous livrer dans ce site dans la page Autothérapie, au moment opportun, dont j’ai donné les raisons de la suspension.
Mon deuxième film, j’avais alors 16 ou 17 ans, dans le même cinéma, c’était un western spaghetti (production italienne), Un génie, deux associés, une cloche, avec Thérence Hill, connu alors sous le pseudo de Trinita, l’homme le plus rapide au tir au pistolet. Toutefois, avant d’aller plus loin, je dois avouer que j’ai connu le cinéma classique dans l’armée pendant mon service militaire, de très beaux films : La fièvre du samedi soir, avec John Travolta ; American graffiti dont je ne me rappelle pas le nom de l’actrice ; Le dernier nabab, avec Robert de Niro, mon acteur préféré à ce jour, plus que Clint Eastwood parlant de l’acteur, car, il est un géant dans la réalisation ; Le bal des vampires, de Roman Polanski, et tant d’autres. Des films de grande pointure.
Il y avait trois salles de cinéma dans le centre-ville : Studio, en voie de déposer le bilan ; Algéria, limitée aux films hindous et égyptiens, deux salles de capacité moyenne, et Djurdjura, nouvellement construite, de grande capacité, spécialisée dans le cinéma hollywoodien et les westerns spaghettis, un régal, avec deux séances quotidiennes, une l’après-midi pour les montagnards qui venaient en bus ; l’autre, le soir, pour les habitants de la ville ; une troisième, au besoin, à 21H, pour ceux qui pouvaient se la permettre. Comme elles affichaient toujours « complet », on a construit une quatrième salle, Le Mondial, à une centaine de mètres sur la même rue, une copie de cette dernière : grande capacité, films hollywoodiens et films du box-office. Plus tard on a ajouté une salle avec balcon au théâtre communal, baptisé ensuite Théâtre Kateb Yacine, et une autre salle dans la maison de la culture, baptisée ensuite maison de la culture Mouloud Mammeri. C’est pour vous dire l’engouement des Kabyles pour le cinéma. Mais, le cinéma a déjà entamé sa chute par la faute de l’école devenue coranique plutôt que républicaine et moderne, qui enfantait les exécuteurs de la République et les exterminateurs des artistes et égorgeurs de citoyens entre 1992 et 2005.
Les salles étaient toujours pleines à craquer au point que souvent il fallait frayer son chemin à coups de poing, sinon on se retrouvera au vieux cinéma pour voir le film à 18h et rentrer à pied un trajet de quarante kilomètres, ou retourner chez soi frustré, mais indemne. Ce n’était pas le cas des salles à Alger. Un tiers, voire la moitié des films que j’ai vus, c’était à Alger et si ma mémoire est bonne, il en restait toujours des places. Aujourd’hui, elles sont toutes fermées depuis les années des terrorismes et rares celles que l’on a rouvertes. On dirait que la vidéo était la coupable. Cette alternative est apparue après leur fermeture et elle n’était pas à la portée de beaucoup de cinéphiles, parlant du salarié. Elle perdure à cause de cette fermeture, plus un effet culturel et cultuel que commercial ou autre.
J’étais toujours avec Salah et Belaïd. Moi et Belaïd n’étant pas costauds, plutôt pacifistes, Salah se chargeait de nous acheter les billets ; parfois nous lui payions le sien. Il le méritait : il montait sur la tête des usagers et surfait au-dessus jusqu’au guichet ; on lui criait des insultes, on lui donnait des coups de tout genre ; rien n’y fit. En bon encaisseur, il revenait toujours avec les billets et dans la première vague, certes, parfois avec des bleus au ventre, qu’il nous montrait, et si quelqu’un voulait une partie de boxe, il ne la refuserait pas. Car, quand on le fixait des yeux, il soutenait le regard.
Les yeux bleus étincelants de Trinita (Térence Hill), sa beauté angélique, les paysages du « Far West » d’Italie et d’Espagne, les couleurs, l’intrigue pleine de suspens et d’émotion, les personnages grandeur nature, l’ambiance dans la salle dont des cinéphiles ne manquaient jamais l’occasion de s’exprimer à haute voix ou avec des cris, le tout me semblait féerique. La facilité et le respect avec lesquels Trinita humiliait ses adversaires et la touche comique qu’il distillait à travers tous ses rôles, m’étaient un régal. Étant alors le nom d’un personnage d’une trilogie western, nous, on le surnommait ainsi pour tous ses films. Il me rappelait Lucky Luke de la bande dessinée, l’homme le plus rapide que son ombre, qu’il finit par jouer. Cette scène de duel au pistolet avec le mystérieux et impétueux Klaus Kinsky, est inoubliable, 3 mn de purs moments de bonheur et de magie.